1878 - Fondation du musée d’Ethnographie du Trocadéro à Paris, première institution française dédiée à l’étude des cultures dites « exotiques ».
1907-1909 - Expédition du célèbre ethnologue Leo Frobenius à travers l’Afrique de l’Ouest, dans une logique de collecte intensive.
1924-1925 - La « Croisière noire » Citroën marque une nouvelle étape : l’Afrique devient terrain d’aventure technologique et d’exotisme colonial.
1925 - Création de l’Institut d’ethnologie de l’Université de Paris, future pépinière de grands noms de l’ethnographie française.
1928 - Paul Rivet et George Henri Rivière prennent la direction du musée du Trocadéro, amorçant une réforme muséographique.
1928-1929 - Première mission de Marcel Griaule en Éthiopie.
19 MAI 1931 - 17 FEVRIER 1933 - Se déroule la mission Dakar-Djibouti, expédition ethnographique majeure (deuxième mission de Marcel Griaule).
1933 - Ouverture au public de l'exposition Dakar-Djibouti au musée du Trocadéro.
1934 - Michel Leiris publie L’Afrique fantôme, journal de bord critique et ambigu de la mission.
1935 - Troisième mission de Marcel Griaule : Sahara, pays dogon (actuel Mali), avec notamment Paulme et Lifchitz.
1936-1937 - Quatrième mission Griaule au Nord-Cameroun.
1937 - Naissance du musée de l’Homme, qui remplace officiellement celui du Trocadéro.
1942 - Marcel Griaule est nommé à la première chaire d’ethnologie dans une université française.
De gauche à droite et de haut en bas :
1) Certains membres de la mission posent devant leur bateau métallique démontable. Photographie G.L Manuel frères à Paris, mai 1931.
(2) Tambour à fente (Afrique centrale, XXe siècle)
Creusé dans un tronc d’arbre, en forme de buffle des forêts, animal symboliquement associé au pouvoir des chefs. Il servait à transmettre des messages sur de très longues distances et accompagnait les cérémonies d'envergure.
(3) Poulailler sanssara bamana, en paille de tiékala et en calebasse. Acheté à Touna, au Mali.
(4) Affiche de la Croisière Noire (Citroën, 1924–1925).
Affiche de propagande coloniale produite pour promouvoir l’expédition Citroën en Afrique, dite “Croisière Noire”. L’entreprise mêlait exploration commerciale, conquête symbolique et production d’un imaginaire exotique destiné à un public métropolitain.
(5) Objets rituels composés de textile et de matières végétales.
(6) Image d'archives de greniers vernaculaires en terre crue coiffés de toits en chaume, peuples Gurunsi. Burkina Faso (XXe siècle).
(7) Portrait supposé de la princesse Yesheshewerq Yelma, nièce d'Hailé Sélassié, huile sur toile (vers 1930).
Il s'agirait d'un don fait à la mission dans des circonstances inconnues.
Bannière de page : Objets rituels collectés lors de la mission Dakar-Djibouti (1931–1933) – Afrique de l’Ouest, XXe siècle.
Mission Dakar–Djibouti : contre-enquête sur un trou noir colonial
La contre enquête
De 1931 à 1933, une équipe d’ethnographes français traverse l’Afrique.
De Dakar à Djibouti, ils collectent des objets et documentent des cultures jugées menacées par la colonisation.
Elle est appelée la Mission Dakar–Djibouti.
Cette expédition dirigée par Marcel Griaule et rendue célèbre par le journal de bord de Michel Leiris (L’Afrique fantôme, 1934), a rapporté en France des milliers d’artefacts, photos, films, enregistrements et même des restes humains.
Menée « au nom de la science », la mission disposait d'un « permis de capture scientifique ».
En réalité ? Des milliers d’objets prélevés, volés, saisis sous contrainte. Des restes humains collectés. Des chants, des gestes, des voix capturés, consignés dans des carnets.
Près d’un siècle plus tard, le Musée du Quai Branly, receleur de ce butin colonial tente une relecture critique.
L’exposition « Mission Dakar-Djibouti (1931–1933) : contre-enquêtes » fait parler les archives.
L’objectif ? Rétablir la transparence sur les conditions d’acquisition de ces œuvres.
L’ambition ? Renverser la perspective coloniale en cherchant à comprendre le point de vue africain et les conséquences du passage de la mission.
Une équipe pluridisciplinaire, incluant des chercheurs africains, exhume les conditions d’acquisition de ces artefacts.
Elle les réinscrit dans leurs contextes d’origine.
Elle mène des enquêtes de terrain, procède à des interrogatoires, recueille des témoignages.
Et si les témoins muets avaient la parole ?
En 1932, à Gondar (Éthiopie), un érudit local du nom d’Aleqa Bellete vend à la mission Dakar-Djibouti certains manuscrits et objets religieux.
Cependant, lorsqu’un tabot disparaît d’une église, Bellete est accusé par ses pairs de l’avoir cédé aux Français (ce qu’il nie).
Craignant d’être poursuivis par les fidèles en colère, les missionnaires détruisent le tabot volé et cachent les morceaux pour effacer la preuve du sacrilège.
Michel Leiris note avec malaise cet épisode dans son journal, conscient d’avoir participé à « un sacrilège, une rafle en bonne et due forme sous couvert scientifique ».
Que raconterait le tabot éthiopien volé puis détruit ?
Ne pouvant faire parler les corps, voilà que 90 ans plus tard, la parole est donnée aux voix africaines.
Un trou noir
La parole est donnée à ceux dont les regards sont filmés puis projetés sur les écrans de l’exposition parisienne.
Le musée souhaite rendre visible.
Mais les regards que j'ai vus sur les écrans portent le témoignage des années autant que du silence.
Le micro est tendu à des sociétés façonnées par l’oralité du secret (un territoire dont le Musée du Quai Branly n’a sans doute pas les codes, inaudibles à partir d'un champ culturel aseptisé) ;
On recherche la voix de ceux qui portent, comme nos aînés dans la Caraïbe, les traits de la dignité, de l’émotion refoulée, de la parole retenue, de la pudeur ou même de la culpabilité ;
Ceux qui sont probablement blessés de savoir que leurs biens ancestraux reposent encore derrière des vitres ;
Ceux qui sont vêtus du chagrin de savoir que l’on exhume des mémoires qui n'ont pas bénéficié de sépulture.
Je convoque la métaphore du “trou noir” pour évoquer l’idée d’un abîme obscur et insondable.
Cette métaphore suggère qu’un événement traumatique, un vol, une agression, pourrait agir comme un vide gravitationnel absorbant tout éclairage valide ou toute transmission réelle.
Dans son ouvrage « Guerre d’Algérie, le trou noir de la mémoire », le chercheur en sciences politiques et relations internationales, Sébastien Boussois mettait en tension ces « mémoires qui - avec le temps - se diluent, sans jamais s’assimiler » et qui ont aboutit à des mémoires divergentes et même totalement opposées entre les pieds noirs, les harkis et les appelés du contingent.
Quelles béances invisibles la perte du tabot a-t-elle laissé derrière elle ? Quel est le prix de l’absence - spirituel, symbolique, mémoriel ?
Quelle est la surface des trous noirs Dakar-Djibouti ? Comment interpeller l’indicible – qu’il s’agisse du trauma muet dans la psyché, du silence de l’histoire occultée, de l’invisibilité subie ou de l’énigme d’un avenir non écrit.
Et de l’autre côté de l’Atlantique, « tanbou o lwen ni bon son » (1)
Les corps incarnés des africains déportés - à l'image de ces objets dérobés, déplacés, détruits -, eux aussi arrachés à leurs autels et à leurs rites ont inventé de nouvelles formes de culte dans le sol, dans la chair, dans les tambours.
Au XIXe siècle, déjà, l’impressionnant tambour à fente en forme de buffle, né dans les forêts d’Afrique centrale, avait pour mission de porter la parole sur de très longues distances.
Collecté lors de la 3ᵉ rafle de l’ouest africain (1883–1885), il était frappé par deux mailloches, activant sa puissance de résonance.
C’est son appel que l’on entend jusque dans les terres d’exil des Amériques.
Car, dans cette grande contre-enquête post-coloniale, les voix caribéennes et afro-américaines semblent absentes.
Comme si les mémoires coloniales étaient compartimentées.
L’exposition mobilise des chercheurs d’Afrique et de France, mais oublie les Amériques, enfants légitimes de la dépossession et de l’arrachement.
Et je m'interroge :
Une succession qui ne convoque pas ses ayants droits est - elle un processus de justice ?
(1) Expression créole « Le tambour au loin émet un son cristallin ».
Cette critique n’est pas exhaustive.
Pour prolonger la réflexion ou accéder aux photographies dans un cadre privé : nucoo.galerie@gmail.com
Photo de Jean Baptiste Devaux via Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0)
« J’habite une blessure sacrée
j’habite des ancêtres imaginaires
j’habite un vouloir obscur
j’habite un long silence
j’habite une soif irrémédiable
j’habite un voyage de mille ans
j’habite une guerre de trois cent ans
j’habite un culte désaffecté ».
Extrait de « Calendrier lagunaire »
Aimé Césaire, Moi, laminaire ... (1982)
COMMISSARIAT DE L'EXPOSITION
Bénin : Didier Houénoudé, Professeur à l’université d’Abomey-Calavi et directeur par intérim des collections ethnographiques de l’État de Saxe.
Cameroun : Hugues Heumen, Professeur et directeur du musée national du Cameroun.
Éthiopie : Sisay Sahile Beyene, Historien et sociologue, professeur à l’université de Gondar et directeur adjoint du département des Sciences sociales et des Humanités, et Claire Bosc-Tiessé, Directrice de recherche au CNRS et directrice d’études à l’EHESS.
Mali : Daouda Keïta, Directeur général du musée national du Mali et Salia Malé, Directeur de recherche et ancien directeur général adjoint du musée national du Mali.
Sénégal : Mame Magatte Sène Thiaw et Aimé Kantoussan, Chargés de recherche au musée des civilisations noires, Dakar.
Collections naturalistes :
Julien Bondaz, Maître de conférences à l’université Lumière Lyon 2.
Responsables du catalogue :
Éric Jolly, Directeur de recherche au CNRS, Marianne Lemaire, Chargée de recherche au CNRS et Salia Malé, Directeur de recherche.
Commissariat général :
Gaëlle Beaujean, Responsable de collections Afrique du musée du quai Branly – Jacques Chirac.
Les images sont reproduites à des fins critiques, pédagogiques et non commerciales.
Photographies : © Gladys ACRAMEL, 2025 – prises lors de visites publiques au Musée du quai Branly – Jacques Chirac.
Les droits des œuvres représentées appartiennent à leurs auteurs, ayants droit ou institutions.
Pour toute demande, merci de me contacter.